Anna Wintour : La fin d’une ère, ou le début d’une nouvelle stratégie pour la mode?

par | 01 juillet 2025

Bienvenue !

 

J’ai décidé de lancer mon blog en 2023! Je suppose que vous vous demandez pourquoi ?
Je n’ai pas l’ambition de devenir une blogueuse influente. Je ne cherche pas non plus à devenir numéro 1 sur Google sur la requête créer sa marque de mode. Je suis tout simplement passionnée d’écriture et de lecture depuis petite. C’est donc naturellement que j’ai commencé à écrire sur les réseaux.

J’aime présenter mes analyses du secteur de la mode sous la forme d’écrit. Je le fais depuis plus de 5 ans sur Linkedin. Je me sens à l’étroit avec la limite des 3000 caractères. Depuis que j’ai pris la décision de rédiger des articles de blog, j’ai davantage d’inspiration pour organiser mes idées et explorer des sujets en profondeur.

J’ai envie d’aborder certains thèmes sensibles tels que l’inclusivité, l’appropriation culturelle, l’uniformisation de la mode, la grossophobie. Je vais continuer à raconter des stratégies de marques à succès et me concentrer sur le segment moyen de gamme qui habille les classes moyennes, la majorité de la société française.

Je vous parle comme si on se connaissait parce qu’à priori vous me suivez sur LinkedIn et vous avez atterri ici via ma Newsletter. Je tenais à vous remercier de me lire et de me suivre dans cette nouvelle aventure épistolaire.

Créativité & Succès

L’annonce a fait l’effet d’une bombe dans le monde feutré de la mode : Anna Wintour, figure tutélaire et rédactrice en chef de *Vogue* US pendant 37 ans, quitterait son poste emblématique en juin 2025. Une nouvelle qui, pour beaucoup, signe la fin d’une ère, celle d’une influence éditoriale inégalée qui a façonné la mode américaine et transformé le Met Gala en un phénomène mondial. Mais au-delà du symbole, cette transition est en réalité une manœuvre stratégique complexe, reflétant les profondes mutations de l’industrie.

Anna Wintour organise une transition calculée, pas une retraite

Contrairement à ce que l’on pourrait penser, le départ d’Anna Wintour de la rédaction de *Vogue* US n’est pas une retraite. Loin de là. La « Reine » de la mode a clairement exprimé son intention de ne pas cesser de travailler, affirmant au roi Charles en février 2025 qu’elle avait « encore tellement à accomplir ». Son déménagement n’est pas non plus à l’ordre du jour : elle ne déplacera « ni son bureau ni une seule pièce de sa poterie Clarice Cliff »

En réalité, Anna Wintour accède à un rôle encore plus puissant : celui de **directrice éditoriale mondiale de Vogue et de directrice générale du contenu pour Condé Nast. Dans cette position élargie, elle supervisera un vaste portefeuille de marques du groupe, incluant Vanity Fair, GQ, Wired, et bien d’autres. Le titre traditionnel de « rédacteur en chef » pour *Vogue* US sera même aboli, remplacé par un « chef du contenu éditorial » qui lui rapportera directement.

Cette consolidation du contrôle éditorial mondial sous la direction de Wintour est une manœuvre stratégique de Condé Nast. Elle vise à renforcer l’efficacité, à assurer une cohérence de message sur les marchés internationaux et à capitaliser sur son influence inégalée à l’échelle planétaire. C’est le signe d’une tendance forte des conglomérats médiatiques à rationaliser leurs opérations et à centraliser leur pouvoir dans un monde de plus en plus numérique et interconnecté. Le rôle traditionnel et autonome du rédacteur en chef d’une seule édition nationale semble ainsi s’estomper au profit d’un leadership de contenu global.

Anna Wintour

Le mariage de l’année : Bezos-Sánchez

Le timing de l’annonce d’Anna Wintour, qualifié d' »opportun » par certains, a coïncidé avec la publication par *Vogue* US d’un reportage exclusif et très détaillé sur le mariage de Jeff Bezos et Lauren Sánchez. Publiée juste un jour après l’annonce de Wintour, cette exclusivité mettait en scène Lauren Sánchez dans sa robe Dolce & Gabbana, dont la confection a nécessité 900 heures, et offrait un aperçu de la somptueuse cérémonie italienne estimée à 50 millions de dollars. L’événement lui-même avait déjà suscité une attention médiatique considérable et même des réactions négatives locales en raison de son ampleur.

Cette couverture digital par Vogue, immédiatement après l’annonce d’Anna Wintour, est devenue un symbole des pressions commerciales auxquelles sont confrontés les médias de mode. Elle a soulevé des questions sur l’indépendance éditoriale, notamment lorsque des publications consacrent une couverture aussi étendue à des personnalités fortunées et très médiatisées. La préoccupation de voir les médias se transformer en « panneaux publicitaires » sans « critique constructive ni analyse » est plus que jamais d’actualité.

Historiquement, l’âge d’or de l’indépendance éditoriale dans les médias de mode est un mythe. L’éditorial a souvent servi à remplir les pages blanches entre les publicités. Aujourd’hui, la publicité est plus systématisée, avec des marques exigeant des placements de produits, parfois même en couverture. L’industrie adopte désormais l’éditorial publicitaire » sans honte, misant sur la transparence. Des collaborations réussies impliquent des relations à plus long terme avec la marque, où elles valorisent votre indépendance, avec un étiquetage clair comme « Monocle x Rolex ».

Le reportage sur le mariage Bezos-Sánchez, bien que non explicitement sponsorisé, illustre cette imbrication profonde. Sa nature « exclusive » et son timing suggèrent un alignement commercial. Cela démontre comment les impératifs commerciaux peuvent influencer indirectement mais profondément les choix éditoriaux, rendant difficile de distinguer un reportage purement objectif d’un contenu motivé par l’accès ou l’affiliation.

Le chemin indépendant d’Edward Enninful

Parallèlement à la transition d’Anna Wintour, une autre figure majeure de la mode, Edward Enninful, a marqué les esprits. Premier rédacteur en chef noir de British Vogue, il a eu un impact significatif en défendant la diversité et en remettant en question les normes de l’industrie. Son départ de British Vogue en 2024 pour devenir « conseiller éditorial pour British Vogue et conseiller créatif et culturel mondial pour Vogue a été présenté comme une promotion.

Cependant, Edward Enninful a simultanément annoncé le lancement de sa propre société mondiale de médias et de divertissement, EE72, avec sa sœur Akua Enninful en tant que PDG. Ses motivations sont claires : une quête de liberté créative plus large et de narration authentique. EE72 vise à offrir une représentation et une narration authentiques qui parlent au monde interconnecté d’aujourd’hui, en se concentrant sur du « contenu transformationnel, des expériences immersives et des produits innovants ». Il souhaite créer un espace où « les voix diverses ne se contentent pas d’exister, elles dirigent ».

Ce mouvement d’Edward Enninful, malgré son rôle de conseiller mondial chez Condé Nast, indique un pivot stratégique vers la création de contenu indépendant. Il reflète une tendance plus large où des figures influentes, se sentant contraintes par les structures d’entreprise ou les modèles médiatiques traditionnels, cherchent à tirer parti de leur marque personnelle et de leur vision pour bâtir de nouvelles entreprises. Le fait qu’il ait un mémoire à succès, « A Visible Man » , contribue également à sa marque personnelle.[5]

La valeur de la marque personnelle est devenue aussi précieuse, sinon plus, qu’un titre d’entreprise. Cela offre une plus grande liberté créative et commerciale, permettant aux créatifs de s’engager directement avec le public, ce qui pourrait conduire à une narration plus diversifiée, authentique et audacieuse. Cette décentralisation de l’influence est une caractéristique déterminante du paysage médiatique en évolution.

La valse des leaders

Au-delà des médias, l’industrie de la mode est témoin d’un remaniement significatif du leadership créatif et d’entreprise au sein des grandes maisons de luxe. Pierpaolo Piccioli, anciennement chez Valentino, a été nommé nouveau directeur créatif de Balenciaga en juillet 2025. Ce mouvement intervient alors que Demna Gvasalia, qui dirigeait Balenciaga, obtient le contrôle créatif total de Gucci à partir de début juillet 2025. Ces changements font partie d’un virage stratégique plus large au sein de Kering, qui possède à la fois Gucci et Balenciaga, suite à des résultats décevants en 2024 et à des changements de leadership créatif dans trois de ses principales marques. De plus, Chanel a nommé Matthieu Blazy comme directeur artistique, et Louise Trotter a pris la direction créative de Bottega Veneta.

Au niveau de la direction d’entreprise, Kering a annoncé la nomination de Luca de Meo, issu de l’industrie automobile, au poste de directeur général à compter de septembre 2025. Cette décision vise à renforcer le leadership du Groupe pour une « nouvelle phase de son développement ».

Ces nombreux changements de haut niveau ne sont pas des incidents isolés. Ils sont un effort stratégique concerté des conglomérats de luxe pour répondre aux pressions importantes du marché (par exemple, des résultats décevants en 2024 pour Kering et aux demandes changeantes des consommateurs. La nomination de nouveaux directeurs créatifs vise à insuffler une vision nouvelle et à revigorer l’attrait de la marque. Parallèlement, les changements de leadership d’entreprise visent à apporter une nouvelle perspicacité commerciale et une nouvelle orientation stratégique pour naviguer sur un marché du luxe complexe et de plus en plus concurrentiel. Cela indique une forte reconnaissance du fait que la vision créative doit être profondément intégrée à une stratégie commerciale robuste pour une croissance durable.

Un timing idéal

Les départs de figures emblématiques comme Anna Wintour, l’émergence d’initiatives indépendantes telles que EE72 d’Edward Enninful, le débat persistant sur l’indépendance éditoriale et les remaniements significatifs de leadership au sein des grandes maisons de luxe ne sont pas des incidents isolés. Ce sont des symptômes interconnectés d’une industrie de la mode en profonde mutation. Cette période est caractérisée par une réévaluation des structures de pouvoir traditionnelles, des modèles économiques et de la définition même de l’influence dans un monde numérique et mondialisé. Les frontières entre les médias, les marques et la direction créative sont de plus en plus floues, exigeant de nouvelles stratégies pour réussir.

Nouveau leadership

Un leadership courageux est nécessaire pour :

  • Redéfinir l’intégrité éditoriale : Aller au-delà du « mythe » de l’indépendance pour établir de nouveaux modèles de collaboration transparents qui permettent toujours une perspective critique et une valeur réelle pour le public.
  • Adopter la transformation digitake : Tirer parti des plateformes pour un engagement et une narration authentiques tout en diversifiant les sources de revenus au-delà de la publicité traditionnelle.
  • Favoriser l’inclusivité et l’authenticité : Comme le défendent des figures comme Edward Enninful, s’assurer que les récits de marque et le contenu médiatique reflètent véritablement des publics et des valeurs diversifiés.
  • Équilibrer l’héritage et l’innovation : Pour les maisons de luxe, cela signifie respecter l’héritage de la marque tout en adoptant de nouvelles visions créatives et stratégies commerciales.
  • Établir des partenariats stratégiques : Collaborer efficacement entre les industries et avec les micro-influenceurs  pour étendre la portée et renforcer la confiance, en garantissant des valeurs partagées et des accords clairs.

Le défi principal pour les médias et les marques de mode n’est plus de savoir s’ils seront commerciaux, mais comment ils le seront tout en maintenant l’authenticité, l’intégrité créative et en offrant une valeur réelle à leur public. Le « courage » nécessaire est d’innover et d’adopter des modèles économiques hybrides qui intègrent de manière transparente les réalités commerciales avec un engagement ferme envers un contenu de qualité, une analyse critique et une connexion authentique avec le public.

L’avenir des médias de mode et des marques de luxe réside dans leur capacité collective à s’adapter à un paysage où l’influence est décentralisée, l’authenticité est primordiale et les consommateurs exigent plus que de simples produits – ils recherchent des valeurs, des histoires et des expériences immersives.


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