Parasitisme dans la joaillerie
Pour mieux comprendre le cas Bulgari vs APM Monaco, il est important de revenir sur l’histoire et le positionnement des deux marques. La marque Bulgari est reconnue pour ses créations emblématiques, dont la plus célèbre est sans doute la collection Serpenti. Depuis 1948, cette collection a été constamment réinventée, faisant l’objet d’investissements créatifs et marketing colossaux. Des millions d’euros ont été dépensés pour faire de ce serpent stylisé une icône de la haute joaillerie.
APM Monaco, de son côté, s’est positionnée sur un segment de joaillerie fantaisie, accessible et inspirée des tendances. C’est en commercialisant ses propres modèles de bijoux en forme de serpent que la marque a été assignée en justice par Bulgari.
Rejet de la contrefaçon, mais pas de l’accusation
L’affaire a pris une tournure inattendue. Le Tribunal de Grande Instance avait initialement retenu la contrefaçon, mais la Cour d’appel de Paris a infirmé cette décision. Elle a reconnu l’originalité des bijoux Bulgari, mais a jugé que les modèles d’APM Monaco n’étaient pas des reproductions identiques. La forme de la tête, l’emplacement des yeux ou la configuration des écailles présentaient des différences suffisantes pour écarter la contrefaçon.
Cependant, le rejet de la contrefaçon n’a pas permis à APM Monaco d’être acquittée. C’est à ce moment que la notion de parasitisme est entrée en jeu.
Le parasitisme, s’immiscer dans le sillage du concurrent
La Cour d’appel a finalement condamné APM Monaco pour parasitisme, une forme de concurrence déloyale. Le parasitisme se caractérise par le fait de « s’immiscer dans le sillage d’un concurrent pour en tirer profit, sans bourse délier ».
En reprenant le motif du serpent de manière récurrente, APM Monaco a clairement cherché à exploiter la notoriété et les investissements créatifs de Bulgari. La justice a considéré ce comportement comme du « free-riding » : APM Monaco a profité de la réputation de Bulgari tout en évitant les coûts associés à la création et à la promotion de son propre emblème.
La décision a été claire : APM Monaco a été condamnée à verser 130 000 € de dommages-intérêts, à interdire la commercialisation des 30 modèles incriminés et à détruire ses stocks.
Leçons stratégiques à retenir pour votre marque
Cette décision va bien au-delà du simple cas juridique et délivre un message fort pour tous les entrepreneurs de la mode :
Le parasitisme est une arme juridique puissante. Contrairement à la contrefaçon, qui exige une reproduction quasi-identique, le parasitisme peut être retenu même si les modèles présentent des différences. Il sanctionne l’exploitation d’un capital notoriété et d’investissements, offrant une protection essentielle contre les imitateurs.
Il est important pour les marques établies comme pour les porteurs de projet d’être en mesure de documenter sa singularité. Pour une marque, il est crucial de documenter tous les efforts créatifs et les investissements marketing pour pouvoir prouver la valeur de ses créations en cas de litige. La preuve de l’investissement devient aussi importante que la preuve de l’originalité artistique.
Il convient d’innover sans imiter. Le cas d’APM Monaco est un avertissement clair. Tenter de capitaliser sur la notoriété d’une autre marque est une stratégie à haut risque. La croissance légitime et durable passe par l’innovation, la création de sa propre identité et de sa propre valeur. À l’opposé de ce modèle, des groupes comme Beaumanoir ont fait de la croissance externe par l’acquisition légitime d’entreprises en difficulté leur force, sans recourir à des pratiques juridiquement contestables.
En définitive, cette affaire marque un tournant dans la jurisprudence. Elle rappelle que le travail de création est un actif précieux qui mérite d’être protégé, et que la justice française est de plus en plus attentive aux pratiques qui diluent la valeur des marques.
Photo : APM monaco
A lire aussi