La création du milieu de gamme à la française

par | 01 novembre 2023

Bienvenue !

 

J’ai décidé de lancer mon blog en 2023! Je suppose que vous vous demandez pourquoi ?
Je n’ai pas l’ambition de devenir une blogueuse influente. Je ne cherche pas non plus à devenir numéro 1 sur Google sur la requête créer sa marque de mode. Je suis tout simplement passionnée d’écriture et de lecture depuis petite. C’est donc naturellement que j’ai commencé à écrire sur les réseaux.

J’aime présenter mes analyses du secteur de la mode sous la forme d’écrit. Je le fais depuis plus de 5 ans sur Linkedin. Je me sens à l’étroit avec la limite des 3000 caractères. Depuis que j’ai pris la décision de rédiger des articles de blog, j’ai davantage d’inspiration pour organiser mes idées et explorer des sujets en profondeur.

J’ai envie d’aborder certains thèmes sensibles tels que l’inclusivité, l’appropriation culturelle, l’uniformisation de la mode, la grossophobie. Je vais continuer à raconter des stratégies de marques à succès et me concentrer sur le segment moyen de gamme qui habille les classes moyennes, la majorité de la société française.

Je vous parle comme si on se connaissait parce qu’à priori vous me suivez sur LinkedIn et vous avez atterri ici via ma Newsletter. Je tenais à vous remercier de me lire et de me suivre dans cette nouvelle aventure épistolaire.

Créativité & Succès

#005 Retour aux origines du succès

Introduction

Aujourd’hui, je vous partage le premier article d’une série consacrée à la chute du segment de milieu de gamme à la française. Pour réaliser cette analyse, je me suis appuyée sur les retours d’expériences des gens de l’intérieur. J’ai recueilli différents témoignages de professionnels : stylistes, chefs de produit, directeurs de collection, contrôleurs de gestion, directeurs financiers, directeurs de marque.

Le secteur de la mode est en pleine mutation. On peut identifier de nouveaux acteurs performants qui gagnent rapidement des parts de marché, des acteurs historiques qui peinent à maintenir leur position et des résistants qui parviennent à conserver et renouveler leur clientèle dans un contexte difficile.

J’ai choisi de m’intéresser particulièrement à des marques françaises leaders des années 90’ et à chercher à comprendre le recul de performance observé au cours des 20 dernières années.

Programme


  1. Introduction
  2. La naissance de l’empire du milieu
  3. Les signes avant-coureurs de la chute de l’empire
  4. Perte de repères
  5. Conclusion

La naissance de l’empire du milieu

Au la fin des années 80, dans les centres villes et les centres commerciaux des grandes agglomérations françaises, une vingtaine de marques se disputent les meilleurs emplacements. Des entrepreneurs ambitieux décident de miser sur les indicateurs suivants pour construire des entreprises performantes

Eléments de contexte favorables

  • Taux de fréquentation élevé des centres commerciaux et centre ville
  • Dépenses mode des ménages élevées et en croissance

Nouveau business model

  • Une expérience en magasin agréable
  • Une communication engageante
  • Une offre produit “tendance”: il ne s‘agit plus seulement de s’équiper mais de créer son propre style à un prix abordable

Naf Naf lance la campagne Le Grand Méchant Look dès 1984. En 1993, Kookai triomphe avec une campagne mettant en scène Yves Saint Laurent, Sonia Rykiel et Karl Lagerfeld.

Les fondateurs de ces enseignes sont audacieux, ils veulent conquérir le monde. Leur expansion s’appuie notamment sur le modèle de la franchise. Les collections remportent un franc succès. Les frais de structure (loyer, stock, équipes) sont maîtrisés.

Les magazines de mode soutiennent la croissance de la notoriété de ces jeunes marques.

Rien de semble pouvoir arrêter cette ascension fulgurante. Si au démarrage ces marques se développent avec agilité autour d’une petite équipe de passionné.e.s. Bientôt, il faut créer un département merchandising pour harmoniser la présentation des collections dans tous les magasins, dont le nombre augmente rapidement.

Les équipes chargées du développement des collections s’agrandissent et se structurent. Il faut créer de nouveaux services avec des directeurs, des adjoints, des chefs et des sous-chefs. Une étape indispensable pour gérer la croissance.

Difficile de déterminer à partir de quel moment l’équipage est devenu un frein à l’agilité du navire. Les processus de prise de décision se sont allongés avec la durée des réunions. L’organisation pyramidale ne favorise pas une dynamique collaborative. Des directeurs de services se disputent la prochaine promotion et les intérêts personnels passent avant le collectif. L’ambiance se dégrade alors que les résultats sont encore prometteurs.

Au début des années 90, les projets d’expansions les plus ambitieux sont mis en œuvre. Fort de son succès sur le marché féminin, Camaïeu se lance sur les marchés homme et enfant pour étendre son hégémonie sur le marché de l’habillement français. Cette stratégie de développement s’accompagne aussi de velléités à l’international.

Mais en 1996, Camaïeu Homme est vendue à l’Association Familiale Mulliez et deviendra Jules quelques années plus tard, Camaïeu Enfant est également vendue et deviendra Okaïdi. Camaïeu décide d’entrer en bourse en 2000 pour financer de nouveaux projets ambitieux.

Les signes avant-coureurs de la chute de l’empire

A la fin des années 90, il est difficile d’imaginer qu’une enseigne suédoise ou espagnole va venir prendre des parts de marché à Camaïeu, Kookaï ou Naf Naf. Les indicateurs de croissance des marques françaises sont dans le vert. Il n’y a aucune raison de remettre en question le business model du milieu de gamme. Et pourtant, il convient de souligner les changements structurels qui ont impacté le modèle économique et bouleversé l’ordre établi :

  • Le rythme de la croissance ralentit et ne permet plus d’amortir la totalité des coûts fixes (loyers, salaires, marchandises)
  • Le trafic s’érode dans les centres commerciaux et les centres ville et le taux de conversion est en baisse.
  • Le consommateur se balade avant d’aller au cinéma ou au restaurant. ll fait du lèche vitrine. Il ne vient pas pour consommer.
  • La part du budget des ménages consacré aux dépenses d’habillement est réduite au profit de nouvelles dépenses de loisirs ou de téléphonie.
  • Les délais de paiement des fournisseurs sont encadrés par la loi LME. Il faut vendre rapidement les collections pour pouvoir payer les factures dans les délais.
  • De puissantes foncières augmentent les loyers des boutiques pour sécuriser les retours sur investissements des propriétaires. Le statut de locataire dans certains centres commerciaux remet en cause le cercle vertueux du business model.

La tension sur les frais de structure à la hausse contraint les chefs d’entreprise à chercher des solutions pour préserver la marge et deux options sont envisagées :

  • Augmenter les prix de vente avec ou sans stratégie de montée en gamme
  • Privilégier les zones d’approvisionnement qui garantissent les meilleurs taux d’entrée

La recette qui a fait le succès de ces marques ne permet plus d’obtenir les résultats exceptionnels de la décennie 90. Le contexte est structurellement différent. Les stratégies mises en place jettent les bases d’une remise en question du cercle vertueux :

  • Une augmentation progressive de la part des importations de produits fabriqués en Chine avec une perte de réactivité
  • Un recours aux rabais plus fréquent pour écouler les stocks des produits vendus trop chers et achetés trop tôt, trop loin
  • Le développement rapide des équipes en magasin et au siège nécessaire pour soutenir la croissance devient bientôt un obstacle à l’agilité et la prise de décision rapide. En 2000, Camaïeu compte 306 magasins, André, 230 et KookaÏ, 150.

Perte de repères

Alors que les premiers signes d’un changement d’ère sont identifiés, Zara et H&M commencent leur conquête du marché français avec un business model d’une efficacité redoutable. Zara et H&M bénéficient d’un effet nouveauté qui séduit les consommateurs peut-être un peu lassés par les marques françaises qu’ils connaissent par cœur.

Avec un nouveau concept de magasin, une forte fréquence de renouvellement des collections et des prix attractifs, les deux géants venus d’ailleurs parviennent à mettre en place une stratégie d’expansion rapide sur le marché français.

Ils bénéficient de loyers avantageux et négocient des emplacements numéro 1. Ils deviennent de véritables locomotives pour dynamiser le trafic des centres commerciaux et des centres villes.

Ce statut leur donne un avantage concurrentiel vis-à-vis des autres marques.Les superficies occupées par Zara et H&M sont équivalentes et beaucoup plus grandes que celles des marques françaises.

L’offre proposée est unique. C’est un savant mélange de Kiabi et de Kookaï : la dernière mode à petit prix, pour toute la famille, réunie dans un immense écrin dans les plus beaux espaces des centres villes et des centres commerciaux.

Un business model de volume prix qui vient concurrencer à la fois les marques d’entrée de gamme telles que Kiabi, Gémo, La Halle et dérouter l’empire du milieu.

Le rapport qualité prix proposé par Zara et H&M est imbattable et les clients ne s’y trompent pas. Les parts de marché de ces deux nouveaux acteurs progressent rapidement dans les années 2000.

Les frontières historiquement établies pour segmenter le secteur de la mode à la française perdent de leur pertinence.

Des codes du luxe sont empruntés par des géants du mass market. En 2004, H&M présente une collection en collaboration avec Karl Lagerfeld.

Du fait de leur volume et de leur attractivité, Zara et H&M ont une capacité de négociation vis-à-vis des fournisseurs, des transporteurs et des bailleurs des centres commerciaux qui leur assure une belle longueur d’avance.

Alors que les paramètres de leur croissance sont remis en question en interne, les marques de milieu de gamme françaises doivent également faire face à la concurrence de deux acteurs redoutables venus bouleverser durablement le secteur de la mode au niveau mondial.


Conclusion

Il me paraissait indispensable de revenir sur les origines du succès des marques de milieu de gamme à la française et de prendre le temps de raconter leur incroyable ascension durant les années 90.

J’ai un attachement particulier pour ses marques parce que j’ai été consommatrice, et parce que j’ai noué de belles amitiés avec des professionnels du secteur qui ont travaillé pour elles.

Ce retour vers le passé est utile pour mieux comprendre la situation actuelle.

Les annonces de redressement judiciaire se sont multipliées au cours des 10 dernières années et elles s’accélèrent depuis deux ans. Dans le prochain article de la série consacrée à la chute du segment de milieu de gamme, je vais m’intéresser à la notion de plateforme de marque dont la disparition serait à l’origine d’une partie des maux de la mode.

 


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